Olga et moi étions dans cette chambre miteuse. J’étais pleine de sueurs, je venais de me faire ce shoot. Ce pur shoot. Je l’appelle -ce moment- un pur moment de rock and roll. C’est aussi jouissif que Steven Tyler dans ses notes les plus aiguës. Je tremblais un peu mais j’étais dans un autre monde. Nous avions une bonne heure devant nous avant le prochain show. Le Kalinka … la musique provenait d’en bas. J’étais bien. J’étais … artificiellement heureuse. Je bougeais la tête, le corps au rythme de la musique et posais mes yeux sur mon amie. Olga. Nous étions amies. Si on peut dire avoir des amis dans un endroit comme celui là …

« je suis née à Boston » elle se demandait certainement pourquoi tout d’un coup je parlais. Pourquoi je me mettais à parler de moi, ce que je ne faisais pas très souvent. « J’ai jamais connu mes parents. Je suis née sous X à l’orphelinat » j’avais un large sourire aux lèvres bien qu’en soit les paroles que je prononçais n’étaient pas si … « drôles » que ça. >« Et j’ai jamais eu de parents. J’ai été une enfant du service public. J’ai passé mon temps en maison d’accueil, mais jamais chez des gens » je soupirais et haussais les épaules. J’avais quand même eu une vie heureuse du moins c'était ce que je me disais tous les soirs avant d'aller me coucher. J'étais pas à plaindre, c'était sur.« Ce qu’on n’a jamais connu ne peut pas nous manquer, pas vrai ? » je lui fis un clin d’œil et me levais pour aller à côté de la fenêtre et regarder la rue en bas. J'avais jamais eu de réel père ou de réelle mère. Une famille, je ne savais pas ce que c'était, mais c'est pas pour autant que ça m'affectait particulièrement non plus. Comme je venais de lui dire, je ne savais pas ce que c'était. J'avais vu des enfants partir dans une famille, et ne plus jamais revenir. Ceux là oui, je les avais peut être un petit peu jalousé, c'était normal. Mais j'en avais aussi vu partir, et revenir, une deux trois fois. Moi j'étais jamais partie, j'avais fait mon petit bout de chemin seule. Mais ça ne m'avait jamais dérangée.

« J’ai toujours rêvé de devenir danseuse » je me retournais vers elle, ma seule amie, ma seule confidente. J'avais décidé de tout lui raconter, c'était étrange pourtant comme manière de procéder, peut être avais je seulement besoin de me confier à elle. « J’ai toujours été heureuse et pleine de joie de vivre …  » c'était mon trait de caractère qui me faisait le plus plaisir. C'était vrai, souvent on me disait que j'étais un rayon de soleil à cause de mon sourire, de mes paroles agréable et apaisantes quand il le fallait. Moi je ne me suis jamais forcée. C'était peut être un peu de la naïveté aussi. Probablement même, mais il en fallait aussi je pense. C'était nécessaire à chacun. A l'époque j'étais souriante, heureuse et je mordais dans la vie à pleine dents. Et je dansais, je dansais tout ce que je pouvais. J'étais heureuse et épanouie. Alors que maintenant ...  je baissais les yeux vers mon corps. Recouvert d’une très fine pellicule de sueur, mes cheveux en bataille. Mes habits trop courts.

« Je ne pensais pas que la bourse que l’ai décroché me mènerait à ça. » je soupirais. Oui j’avais eu la bourse de mes rêves, pour faire ce que je veux. J’étais arrivée à Moscou insouciante. J'avais travaillé, on m'avait aidée. Ils avaient bien vu que c'était fait pour moi, j'ai eu des formations, des opportunité. Et je me suis battue pour avoir cette bourse. J'avais tout quitté, mais cette bourse au Bolshoi, c'était mon rêve de toujours qui était devenu réalité. « J’avais vingt et un an. Et je suis arrivée ici sans rien. J’avais juste une adresse. Celle du conservatoire. Je ne savais même pas où c’était. » je me mis à rire doucement. « Je pensais que l’avenir me souriait. » j’étais idiote à l’époque. Et très niaise aussi, il faut bien le dire ... « C’est après mon premier jour qu’ils m’ont prise ». Je m’adossais au mur et baissais la tête. « Mais je ne me suis pas laissée faire tu sais » un petit sourire se dessine sur mon visage « tu me connais Olga, » oui elle me connaissais et savait mon esprit volontaire. Mais ils m’avaient bien cassés. J’me suis retrouvée en isolement sensoriel pendant plusieurs jours, sans manger, sans boire. Que des shoots d’héro au moment ou je commençais à devenir cold turkey. « J’ai crié au début, et j’ai protesté. » je soupirais. Pour eux j'étais un bijou, un diamant qu'il étaient en train de tailler pour devenir un majestueux bijou. Mais pour le moment, ils en étaient à la phase burin. A la phase, je te brise, encore et encore. Une américaine, quelle aubaine hein!? Sans aucune attache, on a du penser au Bolshoi que j'avais cédé à la pression du premier jour. Ce n'était pas comme si ça n'arrivait jamais.

« Puis la blanche est devenue toute ma vie. » et dès lors ma vie à été la leur. Je faisais tout ce qu’ils voulaient … pourvu que j’aie ma blanche aux heures régulières. Je suis devenue leur chienne. J'étais devenue un instrument de plaisir dans leurs mains, ils avaient eu ce qu'ils avaient voulu, un animal exotique, complètement dévoué à eux puisqu'ils me tenaient en laisse, une laisse qui prenait la forme d'une longue ligne blanche que je laissais lentement pénétrer dans mon corps grâce à un billet de banque roulé et arriver à mon cerveau comme un bolide lancé à pleine puissance pour faire éclater mon cerveau en des millions d'étincelles. Je me retournais vers Olga, mon amie dans cette tempête. Ma protégée. « Boire, Baiser … Plaire, Procurer du plaisir …  » voilà notre quotidien. Voila ce a quoi je m'étais avilie afin de pouvoir continuer à vivre, afin de pouvoir sniffer la précieuse poudre vitale et nécessaire à mon existence. J'avais donc été ce qu'ils voulaient. Charmante, charmeuse, délicieuse. Je laissais les mains parcourir mes bas, les lèvres effeuiller mon corps, les langues explorer mes recoins. « On n’est bonnes qu’à ça ! » J'étais leur plus beau jouet. La petite danseuse américaine. Hazelnut, la douceur de velours. J'avais joué, mis un masque, mis un costume, ce n'était qu'un rôle. Mais l'étais ce vraiment? Hazelnut était dans son élément et ne cherchait aucune porte de sortie. Elle prenait soin des autres filles, elle prenait soin d'Olga. Je prenais soin d'Olga. Non, elle prenait soin d'Olga.

Moi, j'étais pas pareille. Moi ... J’avais de l’espoir quand même. D’un pas, je me dirigeais vers elle et pris mes mains dans les siennes. « On s’en sortira un jour » je souris faiblement à mon amie qui ne comprenait pas forcément pourquoi. C’était brusque, et en totale contradiction avec ce que je venais de dire et le ton fataliste avec lequel je l’avais dit. C'était moi, entre ces quatre murs miteux, c'était moi, Hazel. Partout en dehors, c'était Hazelnut. Hazel avait l'espoir, Hazelnut avait la force. Un petit sourire fugace aux lèvres je déposais un baiser sur le front de mon amie et protégée. Olga. Je ne souhaitais pas qu'elle finisse comme moi. Je voulais qu'elle s'échappe. Elle méritait tellement mieux que ça. Je voulais le lui dire. Je voulais ... Mais déjà un gros gorille entrait dans la chambre pour nous demander de nous préparer. Le prochain client était là. C’était l’heure de retourner au turbin.